Le 27 mai, le Vatican a annoncé la reconnaissance d’un deuxième miracle attribué à l’intercession de Charles de Foucauld, ouvrant la voie à sa canonisation.
Il s’agit de la survie d’un ouvrier qui travaillait à la charpente d’une chapelle. Il a fait une chute de 15,50m, tombant sur un banc dont un morceau l’a transpercé sous la cage thoracique; mais il s’est relevé et a pu lui-même demander du secours. C’était à Saumur, dans la paroisse Charles de Foucauld, à la veille du 1er décembre 2016, centenaire de la mort de Charles. Toute la paroisse était engagée dans une neuvaine de prière pour la canonisation et s’est mobilisée ensuite dans la prière à Charles de Foucauld pour le charpentier accidenté. Deux mois après, il pouvait reprendre le travail. Les médecins qui l’ont examiné ont tous conclu au caractère extraordinaire de sa survie après une chute pareille.
Pour accueillir la nouvelle avec un sourire, on peut relire une lettre que Marc, un des frères de Lille, avait envoyée à Charles à l’occasion de la béatification en 2005.
Bien cher Charles, mon frère,
J’aurais voulu voir la tête que tu avais le 13 novembre, quand on déroulait ton portrait géant à St Pierre de Rome. Je me demande si tu as beaucoup apprécié. Alors je voudrais t’expliquer pourquoi c’était important pour nous de faire cette fête et pourquoi ta vie nous touche.
À vrai dire, tu l’avais mal commencée, ta vie. Orphelin très jeune, exilé à cause de la guerre, ce sont des blessures affectives qui marquent et qui auraient pu te démolir. De fait tu as bien failli te perdre. « À 17 ans, j’étais comme affolé », as-tu écrit. Tu avais de l’argent et tu en as profité, mais ça ne te comblait pas ; au contraire tu éprouvais « un vide douloureux, une tristesse, un dégoût, un ennui infinis », ce sont tes mots. Ce que je trouve merveilleux, c’est que cette partie blessée de toi-même, cette soif d’être aimé et d’aimer, va devenir le ressort de ta vie. Ce n’est pas pour rien que “frère” est un de tes mots préférés, un mot de relation et d’ouverture à l’autre. Tu ne l’as jamais su, mais quand ton “accompagnateur”, l’abbé Huvelin, t’a présenté au père abbé d’un monastère où il t’envoyait faire une retraite, il lui a écrit : « Cet homme fait de la religion un amour. » Ça me donne de l’espérance face à des situations blessées.
Tu as été très fidèle à ta famille et à tes amis, affectueux et proche. Ils ont gardé tes lettres, des milliers ! Mais il y a une chose qui me touche beaucoup : Jésus était pour toi un ami aussi réel, vivant et proche que les autres. Bien sûr tu as été moine pendant des années puis ermite. Mais ensuite, au Sahara, lorsque tu écris que « de 4 h 30 du matin à 8 h 30 du soir, [tu] ne cesses de parler et de voir du monde : des esclaves, des pauvres, des malades, des soldats, des voyageurs, des curieux », comment fais-tu pour garder le cœur éveillé à Jésus vivant ? Tu nous a donné ton secret : « Revenons à l’Évangile », dis-tu, « Il faut tâcher de vous imprégner de l’esprit de Jésus en lisant et en relisant, méditant et reméditant sans cesse ses paroles et ses exemples qu’ils fassent comme la goutte d’eau qui tombe et retombe sur une dalle toujours à la même place… ». Aussi occupées que soit nos vies, il y a un espace pour l’amitié avec Jésus. Et fréquenter Jésus, ça ne nous met pas sur un petit nuage, ça peut finir par nous rendre aussi humains que tu l’as été, humains à la façon de Jésus.
C’est une des grandes choses que tu nous as apprises. Être « humain », c’est parfois la seule façon de briser les barrières et de parler de Dieu. À la fin de ta vie, tu es allé seul au milieu d’un peuple inconnu, et la seule chose que tu as faite, c’est de te rapprocher d’eux en respectant et en valorisant leur culture, de te laisser accueillir par eux et de croire que Dieu travaille, même s’il y faut « des siècles » comme tu disais. Quand tu es mort, Moussa, le chef touareg, a écrit à ta sœur ces simples mots : « Charles le marabout n’est pas mort que pour vous autres seuls, il est mort aussi pour nous tous. Que Dieu lui donne la miséricorde, et que nous nous rencontrions avec lui au paradis ! » Aujourd’hui, tu sais, on parle beaucoup de communication, mais chacun se referme dans son petit cercle parce que la différence nous fait peur. Toi au contraire, ta passion était d’aller vers celui qui est le plus loin et tu l’as vécue jusqu’au bout. Quel souffle tu nous donnes !
Au fond, je sais quelle tête tu avais le 13 novembre : une tête de bienheureux ! Celle que tu as sur la photo que je te joins. Elle est un peu floue, mais on voit bien que tu souris et tu marches vers l’autre, tendu vers la rencontre. C’est tout à fait toi ! Et c’est ça que nous aimons en toi.
Tu permettras que je finisse ma lettre comme tu terminais les tiennes à ton ami Gabriel : « Je t’embrasse de tout mon cœur comme je t’aime. »
Marc, ton petit frère